Avant le GP d’Indianapolis, pour la reprise après la trêve estivale, Alexis Masbou et Louis Rossi ont annoncé leur collaboration pour la création d’une équipe Moto2 exclusivement française. Les deux pilotes français seront pilotes, mais aussi responsables de leur propre équipe. En attendant la validation conjointe de l’IRTA et de la Dorna, nous les avons rencontrés afin qu’ils nous expliquent plus précisément ce projet ambitieux.
- Avant de rentrer dans les détails, pouvez-vous nous en dire plus sur la naissance de ce projet ?
Louis Rossi : C’est une idée que nous avons eue Alexis et moi, la saison dernière. Nous avons l’habitude de travailler ensemble autour de projets communs. Étant complémentaires, nous nous sommes rendus compte que nous arrivions souvent sur ce type de projet. Initialement, ce n’était qu’une simple idée, quelque chose qui nous faisait rêver et que nous avions seulement imaginé. Finalement, nous avons tout de même essayé d’élaguer l’idée et de préciser ce que nous avions en tête. En début de saison, nous nous sommes lancés dans le projet en vue de le voir naître pour la saison 2015. Ce projet sportif et d’avenir est une équipe Moto2 composée de deux motos et dans laquelle nous serions les deux pilotes. Ensuite, l’idée de vouloir créer quelque chose de 100% français nous est venue dans un deuxième temps, au fur et à mesure de notre réflexion.
- Ce n’est donc pas un projet qui date d’hier ?
Ce serait difficile de proposer un projet qui tienne la route si nous avions eu l’idée un matin en nous levant. De belles histoires, on en connaît. Maintenant, celles qui réussissent, nous savons qu’elles sont travaillées et qu’elles sont mûrement réfléchies. Même si pour la presse et les gens qui nous suivent, le projet n’a été dévoilé que la semaine dernière, cela fait un petit moment que nous avons eu cette idée et que nous avons pris le temps de tout poser sur papier afin de pouvoir définir un budget, déterminer ce dont nous avions besoin et les personnes avec qui nous voulions le faire. Aujourd’hui, c’est un projet qui est lancé.
- Ce projet d’équipe Moto2 est proposé en collaboration avec des partenaires français, a-t-il été difficile de la convaincre de vous suivre dans cette aventure ?
L’esprit 100% français est une notion que nous souhaitions mettre en place. Dans le paysage de la moto française, il y a beaucoup de savoir-faire qui peut être exploité que ce soit de la part de Tech3 avec les Mistral ou, par exemple, d’une école de mécaniciens telle que le LMS au Mans ou encore de la part de différentes entreprises. Dans la création d’une équipe, on s’aperçoit qu’on fait appel à plusieurs corps de métier. C’est pour cette raison que nous souhaitions réunir tout ce savoir-faire. Le côté 100% français a pour but de mettre en avant notre pays. Nous courons pour notre nationalité, pour nous, mais nous sommes attachés au bleu-blanc-rouge et nous voulons briller pour notre pays. Nous voulons que cette équipe s’oriente vers cet état d’esprit. Au sujet des partenaires, le budget n’est pas encore bouclé. Nous sommes soutenus par différents partenaires (privés ou institutionnels), mais aujourd’hui il y a encore des choses à faire. La première chose à valider concerne l’acceptation de l’IRTA et de la Dorna afin de pouvoir rentrer dans le championnat la saison prochaine. Nous essayons de mettre en place un certain nombre de paramètres afin d’être les plus attrayants possible parce que nous pensons pouvoir apporter un nouveau concept qui n’a jamais été fait jusqu’à présent.
- Quels sont les critères d’évaluations pour l’inscription d’une nouvelle équipe au Championnat du Monde ?
Il y a beaucoup de critères. D’abord qui sommes-nous ? Quels résultats exploitons-nous ? Dorna est une société qui organise un beau championnat qu’est le MotoGP™ et souhaite que ce championnat soit le plus relevé possible. En terme de résultats, sont évalués qui pilotera les motos, avec quels matériels et quels partenaires. La solidité du projet en terme de finances et les perspectives d’avenir du projet sont d’autres points abordés. Pour Dorna, c’est important de pouvoir tabler sur des équipes et des entreprises qui ont une visibilité dans le temps parce que des équipes créées sur une saison pour ensuite disparaitre ou en difficultés financières ne sont pas des équipes avec lesquelles il est facile de travailler. Par rapport à ces notions, nous nous obligeons à ne pas faire n’importe quoi. Nous avons la chance d’être soutenus par Claude Michy, promoteur du GP de France, la FFM et par Hervé Poncharal qui va nous fournir le matériel. Nous avons des appuis relativement solides en lien suffisamment important avec Dorna pour leur donner confiance. Puis, derrière, ce sont nos résultats et nos prestations qui nous permettent de devenir vraiment intéressants. Enfin, historiquement, une association de deux pilotes qui créent leur équipe, c’est du jamais vu. De même, une équipe française composée d’éléments français et faits par des Français dans championnat pour lequel il est nécessaire de représenter un maximum de nationalités est important pour Dorna.
- Hervé Poncharal est aussi Président de l’IRTA, a-t-il la possibilité de pousser le projet dans le bon sens ?
Aujourd’hui, nous sommes soutenus par Hervé parce qu’il aime notre projet et il connaît notre motivation pour réussir notre aventure. Hervé nous aide au sujet des Mistral. Ainsi nous avons quelques facilités grâce à lui à ce sujet. Son travail à l’IRTA n’est pas d’aider spécifiquement les personnes qu’ils apprécient. Il se doit de rester impartial.
- Au sujet des Mistral, travailleriez-vous en étroite collaboration avec l’équipe Tech3 (évolutions, pièces) ?
Alexis Masbou : Justement, l’idée est de créer un véritable lien avec Hervé et l’équipe Tech3 tant sur le plan matériel que sur le plan des échanges d’informations avec les ingénieurs. Avoir deux équipes françaises qui s’entendent bien est un plus pour faire évoluer le matériel et aller de l’avant.
- Le coût d’une saison est relativement élevé pour une équipe Moto2, êtes-vous en rivalité face aux autres équipes française dans la collecte des subventions ?
Louis Rossi : Non puisque nous avons nos réseaux composés de personnes que nous connaissons depuis un certain nombre d’années déjà. Notre projet n’occupe pas une place déjà occupée par Alain Bronec en Moto3 ou Hervé en Moto2. Personne ne se marche sur les pieds. Pour notre projet, en ne partant de rien et avec un investissement important, il faut compter initialement un budget d’environ 1 à 1.5 million d’euros. Grâce aux différents partenaires, nous arrivons à obtenir des échanges marchandises qui réduisent ce budget d’environ 500.000 EUR. Ainsi, nous arrivons à atteindre le budget de 1 million d’euros pour la saison.
- Concernant le staff de l’équipe, avez-vous des idées concernant les différents acteurs de l’équipe (Team Manager, Responsable Technique…) ?
Pour le Team Manager, nous avons déjà l’idée de nous associer avec Christian André. Pour le reste, il est encore trop tôt pour nous d’en parler puisque certains d’entre eux sont engagés dans d’autres équipes. Et avant toute chose, il faut attendre la validité de notre projet. Nous recevons beaucoup de CV de personnes souhaitant travailler avec nous. Il va falloir étudier tout cela et choisir les bonnes personnes avec qui nous voulons travailler même si certains piliers sont déjà en place comme Pascale Balin, ma mère, qui sera en charge de coordonner l’équipe au sujet des déplacements. Il est important de travailler avec des personnes qui ont de l’expérience dans ce milieu.
- Si le projet se concrétise, vous évoluerez dans votre propre équipe dans laquelle vous serez les seuls responsables, dans l’éventualité où un des deux réussisse mieux que l’autre, n’avez-vous pas peur d’une rivalité nouvelle dans l’équipe ?
Louis Rossi : Nous savons très bien que lorsque l’un des deux roule plus vite, l’autre est tiré vers le haut. Par exemple, à Indianapolis, le fait qu’il ait réalisé une superbe course associé à notre étroite collaboration m’a permis de me motiver au maximum et de réaliser de bons résultats. Inversement, lorsque je suis dans une bonne dynamique et qu’Alexis l’est un peu moins, ça peut lui servir aussi. Demain, il va falloir que nous soyons malins puisqu’il y en aura forcément un qui finira devant l’autre à la fin de la saison. Que le meilleur gagne. Il va y avoir de la concurrence, mais tant que cette concurrence reste saine, nous ne sommes pas très inquiets.
Alexis Masbou : Je suis d’accord avec Louis. Cela fait quelques années maintenant que nous collaborons. Depuis que nous ne sommes plus dans la même catégorie, nous ne sommes plus en rivalité directe, mais il faut se rappeler que nous avons roulé face à face pour jouer des podiums et nous ne nous sommes pas tirés dans les pneus. Nous nous entendons bien, nous sommes clairs l’un envers l’autre et je n’imagine pas de problème de cet ordre-là. Nous essayons de créer ce projet ensemble et sur la piste tout se réglera à celui qui accélère le plus fort, mais nous le faisons déjà depuis des années.
- Sur le long terme, dans l’éventualité où l’un de vous accède à une catégorie supérieure, est-ce que l’équipe resterait afin d’accueillir d’autres pilotes français ?
Louis Rossi : Aujourd’hui, nous souhaitons un projet visible sur plusieurs années. Évidemment, nous avons étudié plusieurs hypothèses : pilote ou non, pilote dans une autre catégorie ou dans une autre équipe. Ce qui est certain, c’est que nous créons le projet pour nous. Nous allons tenter de le faire vivre et d’en tirer les meilleurs résultats possibles. Si demain la carrière d’Alexis explose et qu’il termine en MotoGP, ça restera un projet de reconversion pour l’avenir. C’est quelque chose que nous entretiendrons. Notre idée n’est pas de faire un one-shot.
Alexis Masbou : Exactement. Grâce à notre expérience et aux personnes que nous côtoyons, le plus viable pour nous est de créer une équipe solide, dans laquelle nous nous sentons bien, mais qui pourra servir à d’autres pilotes, à d’autres Français pour se sentir bien en Grand Prix et évoluer.
- Quelles sont les prochaines étapes dans le processus de la création de l’équipe ?
Louis Rossi : Nous n’allons rien cacher. Il se peut que notre projet soit suffisamment séduisant pour qu’il soit accepté lors du GP de Grande-Bretagne à Silverstone. Il y a trois étapes à franchir. Savoir si nous passerons dès la première, la seconde, la troisième ou pas du tout, nous ne sommes pas capables d’en donner la réponse. De notre côté, nous pouvons être relativement confiants dans le sens où nous réalisons quelque chose de vraiment bien et d’assez abouti par rapport aux critères de Dorna. Nous allons tout faire pour passer le plus vite possible.
Alexis Masbou : La dernière deadline, c’est normalement durant lors GP de Valence. C’est à ce moment que tout est quasiment décidé. Selon les difficultés de certaines équipes, ça peut toujours évoluer, même durant l’intersaison. Tout est variable.
- Et si le projet n’aboutit pas, êtes-vous toujours à la recherche d’opportunité spour la saison prochaine ?
Louis Rossi : C’est un projet sur lequel nous investissons beaucoup. C’est sûr que cela nous prend du temps et qu’il faut que nous fassions tout pour que ça marche. Si ce n’est pas le cas, je ne sais pas encore quelles solutions vont s’offrir à moi. Nous nous concentrons sur le projet pour qu’il soit viable demain. Il faut que Dorna et l’IRTA comprennent bien que c’est important pour nous de créer notre équipe. C’est notre opportunité de rester. Si le projet ne se concrétise pas, Alexis et moi n’avons pas beaucoup d’opportunités pour la saison prochaine. Ainsi, il est possible de perdre deux pilotes français avec personne d’autre à mettre à la place et un beau projet qui restera sur le papier. C’est important que ce soit dit. Ramener des budgets dans des équipes étrangères est quelque chose de plus en plus compliqué dans un contexte économique difficile. Sur ce système, nous avons déjà exploité beaucoup de solutions. Nous comptons beaucoup sur Dorna et l’IRTA.