Dossier : La récupération des pilotes moto – Partie II : Les clés d’un processus de récupération accéléré.

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Publié le 01/05/2013 avec 5 Commentaires

« Je veux retourner en piste aussi vite que possible, » déclarait il y a quelques mois Abraham au site MotoGP.com, « nous allons donc essayer de rouler à Jerez et nous verrons bien comment ça se passe. La guérison est en cours, mais mon Docteur a décelé quelques complications au niveau de la cicatrisation. Mais il m’a assuré qu’il n’y avait aucun risque que ma blessure s’aggrave. La chose la plus importante est d’éviter de retomber sur mon épaule pour ne pas interrompre le processus de récupération, je vais donc resté très concentré, et ce malgré la douleur très vive. Tout ce que j’espère, c’est pouvoir rouler tout le week-end et surtout, finir la course. »

Telles sont les paroles du jeune homme à sa sortie de l’hôpital, une petite semaine seulement après l’opération qui a suivi sa chute à Austin. Deux semaines de récupération sur une fracture de l’acromio-claviculaire, et avec des complications, dans quel monde est-ce possible ? Dans celui des pilotes motos, bien sûr.

OffBikes a donc tenté de déceler les secrets de ces guérisons spectaculairement rapides, et de vous éclairer sur les facteurs de leur récupération prodigieuse. Des surhommes ? Pas seulement.
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Les clés d’un processus de récupération accéléré.

Dans le cas où vous ne verriez pas de quoi il s’agit lorsque nous parlons de récupération rapide, voire ultra-rapide, nous avons demandé à nos différents spécialistes de nous donner quelques exemples dont ils se souviennent, et un nom est revenu en particulier, celui de Mick Doohan. Peut-être pas exactement une génération qui parle à tout le monde, mais quand même : avant son premier titre en 500cc, cet immense champion – il en gagnera cinq d’affilée – se blesse très gravement lors des essais sur le circuit d’Assen (encore celui-là) et souffre d’une double fracture de la jambe droite. Nous sommes en 1992, et l’Australien risquera l’amputation quelques semaines plus tard. Lorsqu’il revient pour la dernière course de la saison, son cuir est trop grand pour lui tant il a perdu de poids. Il terminait pourtant le Championnat du Monde second derrière Wayne Rainey, et remporte son premier titre en 1994 sur sa Honda équipée d’un frein arrière au pouce, son pied droit ne pouvant plus assurer cette fonction. « Cette année-là, il bénéficiait d’ailleurs de l’assistance du Docteur Costa en personne, » rappelle Guido Costa, kinésithérapeute de la Clinica Mobile pendant plus de dix ans. « Il l’aidait à trouver des astuces pour pouvoir se positionner sur la moto sans trop souffrir, mais Doohan avait fini par marquer des rides de crispation dues à la douleur… » expliquait à l’époque à la presse Paolo Fabbri, un autre kiné de la structure du Docteur Costa.
C’est cette même jambe sur laquelle il retombe en 1999 à Jerez, mais cette fois-ci, ses multiples fractures l’obligeront à annoncer la fin de sa carrière, et il laissera le titre de Champion du Monde à son coéquipier d’alors, Alex Crivillé, talonné l’année suivante par un jeune arrivant dans la catégorie et chez Honda, un certain Valentino Rossi.

Un exemple s’il en est : trois mois pour remonter sur sa machine et un an et demi pour être titré, des délais exceptionnels lorsque l’on a risqué pas moins qu’une amputation. Mais si celui-ci ne vous parle pas, nous pouvons encore vous rappeler les suivants : qui d’entre vous a vu les images d’un Kévin Schwantz roulant avec le bras plâtré, et qui le mettait dans son dos en ligne droite afin de le reposer ? Vous rappelez-vous de Jorge Lorenzo en 2012, qui, au Sachsenring, montait et descendait de sa M1 en s’aidant de béquilles, car il souffrait d’une entorse toute fraîche de la cheville (due à une chute à Assen, encore et toujours ce circuit) ? Ou encore de la double fracture tibia-péroné de Valentino Rossi en 2010 et arborant lui aussi une paire de béquilles pour courir le Grand Prix d’Allemagne un tout petit mois plus tard, cette même course où le Français Randy De Puniet chutera et se fera exactement la même blessure que l’Italien, une blessure dont il peinera à revenir, forfait pour plus de trois courses, et dont il souffre encore aujourd’hui ? « La loi des séries ! » plaisante Christophe Biau, notre kinésithérapeute spécialisé dans les soins aux sportifs de haut niveau.

Autant d’anecdotes qui prouvent à quel point les pilotes professionnels réduisent les délais de récupération normaux afin de remonter au plus vite sur leur machine. Comment cela est-il possible ?

Jorge Lorenzo se déplaçant avec ses béquilles lors du GP du Sachsenring en 2012. Il souffre alors d'une entorse à la cheville datant d'une semaine, mais prendra quand même le départ de la course.

Jorge Lorenzo se déplaçant avec ses béquilles lors du GP du Sachsenring en 2012. Il souffre alors d’une entorse à la cheville datant d’une semaine, mais prendra quand même le départ de la course.

En tout premier lieu, il faut évidemment considérer le fait qu’au delà des soins immédiats abordés dans la première partie de ce dossier, un pilote blessé va recevoir un ensemble de traitements pour la plupart inaccessibles au commun des mortels.

Ainsi, Christophe nous donne une première piste : « Dans la mesure où il s’agit de pilotes professionnels, la plupart d’entre eux n’ont aucune activité à coté – si ce n’est leurs entraînements sportifs. Leur corps étant leur outil de travail, ils ne reçoivent pas le même traitement qu’une personne lambda pour deux raisons majeures : ils ont le temps, et les moyens » explique-t-il. Deux facteurs qui semblent effectivement prévalents. « Par exemple, sur une fracture, on ne va pas forcément plâtrer un pilote comme on plâtrerait quelqu’un de standard, ce qui le conduirait à une immobilité totale de plus de trois semaines en attendant la consolidation des os. On va privilégier la pose d’une gouttière, moins contraignante, pour commencer la rééducation et l’entretien de la masse musculaire alors même que la consolidation osseuse n’est pas terminée. Ainsi, ils pourront se mouvoir et répéter les gestes qui leurs sont indispensables au pilotage, et ainsi récupérer plus vite. Évidemment, une gouttière est une technologie plus coûteuse qu’un plâtre, et ce n’est qu’un exemple moindre : les médecins les feront aussi bénéficier d’un attirail plus performant tels qu’une opération immédiate avec installation de plaques et de vis, des séances en caisson hyperbare pour améliorer la récupération tissulaire et la vascularisation, des séances de laser pour améliorer la cicatrisation, etc. Donc en plus d’avoir accès à des soins exceptionnels, le protocole va être mis en place plus tôt, et l’athlète blessé aura un véritable suivi qui, pour une personne lambda, serait beaucoup plus contraignant en terme de temps et beaucoup trop coûteux. »

De fait, un pilote légèrement blessé le vendredi matin pourrait se permettre de courir le dimanche grâce à des soins immédiats, tandis qu’un pilote blessé plus gravement pourrait envisager un délai de retour divisé par deux grâce à des traitements à la fois coûteux et chronophages.

Et c’est bien l’association de ces deux facteurs qui, finalement, ne rendent pas le temps de récupération égal pour tous. Car il ne faut pas se leurrer, si un Randy De Puniet ou un Tom Lüthi s’arrêtent plus longtemps qu’un Valentino Rossi ou un Karel Abraham pour la même blessure, c’est parce qu’à un moment où un autre, l’argent rentre en ligne de compte. Et nous ne cherchons même pas à comparer avec les personnes lambda pour lesquelles une grande partie des techniques suscitées sont totalement inaccessibles. Et Christophe de nous rejoindre à ce sujet : « Évidemment, l’accès à ce type de traitements est sûrement valable pour des pilotes de tête de classement, dans des teams fortunés, mais peut-être pas pour des pilotes comme Alexis Masbou, qui du coup traînent leurs blessures plus longtemps faute de professionnalisme du personnel médical qui s’est chargé d’eux sur le coup. Donc, outre le fait que le pilote soit professionnel, les moyens financiers de leur structure et/ou les leurs propres sont parfois déterminants. »

Caisson hyperbare médicalisé de l'Hôpital Sainte-Marguerite à Marseille.

Caisson hyperbare médicalisé de l’Hôpital Sainte-Marguerite à Marseille.

Intrigués par ce point, nous avons tenu à interroger nos deux pilotes et nous leur avons posé la question suivante : en cas de blessure, qui prend en charge vos soins, le team ou une assurance particulière que vous avez contractée ? Étrangement, leurs réponses diffèrent et leur langue semble un peu moins bien pendue. Question de niveau ou de catégorie ?

Ainsi, Loris Baz nous dit : « Avoir une assurance à côté, c’est très coûteux. Cela dit, l’assurance incluse dans la licence de pilote est très bien faite, elle comprend le rapatriement, par exemple… » Une réponse évasive s’il en est. Sylvain Barrier est lui un peu plus bavard sur le sujet : « Pour moi pilote Français, une partie est prise en charge par la FFM par exemple. Il y a aussi la Sécurité Sociale, mais ça n’existe que chez nous, et elle ne prend par grand-chose à sa charge lorsqu’il s’agit de nous. Personnellement, j’ai une assurance particulière également. Par contre, en ce qui concerne le team, il ne veut rien avoir à faire avec ça, c’est d’ailleurs stipulé dans mon contrat comme dans la plupart des contrats de pilote à mon niveau. C’était le cas dans tous les contrats que j’ai signés jusqu’à présent, d’ailleurs » déplore-t-il. « Tu peux te blesser, rester paraplégique ou même mourir, ils te demandent de signer une décharge totale de responsabilité, même si la moto est défaillante où que leur faute soit prouvée. De fait, tous les pilotes que je connais ont une assurance spéciale, on a plus ou moins tous un double ou une triple couverture en plus de l’assurance incluse dans la licence. »

Lourd sujet que cet aspect financier sur lequel nous n’obtiendrons pas plus d’information, mais qui semble bien être une des clés de la vitesse de récupération de certains pilotes par rapport à d’autres.

Autre élément non négligeable, la médication. Les antidouleurs sont une part importante du quotidien des pilotes blessés, et les aident bien évidemment à reprendre la piste malgré la douleur. Une technique quasi systématique qui fait d’ailleurs débat à l’ère règlementée de la lutte contre le dopage.
Christophe tient à préciser : « Tous les pilotes professionnels ont probablement accès à des aides sous forme d’antidouleurs autorisés par la Fédération qui, d’ailleurs, pourraient presque être perçus comme une forme de dopage dans d’autres disciplines. On parlera d’assistance chimique à la performance physique : ça n’augmente pas la performance physique dans l’absolu, mais ça permet de l’utiliser dans l’immédiat. » Une nuance importante, comme le confirme Loris : « Bien sûr que la médication nous aide, à diminuer la douleur mais aussi à faire en sorte d’éviter les coups de moins bien physiques… Toujours dans le respect des règles anti dopages, évidemment, et j’ai la chance que mon team soit très impliqué dans ce domaine et accompagne énormément le pilote, ce qui n’est pas le cas de tous les teams. » Compléments alimentaires et anti-inflammatoires, même combat ?

Mais finalement, et c’est ce que chacun de nos spécialistes nous a confié, le facteur le plus important de la capacité de récupération incroyable des pilotes, que ce soit à une blessure où à la fatigue, c’est le mental. Si vous faites de la moto, vous l’avez vous-même expérimenté à petit niveau : lorsqu’on chute et que l’on se blesse, la chose à laquelle on pense le plus est forcément le moment où, enfin, l’on pourra à nouveau chevaucher la machine et lui montrer qui est le patron. Alors lorsqu’il s’agit de votre métier, et de votre vie entière en plus d’être votre passion, la volonté est évidemment décuplée, et bien des pilotes l’ont prouvé au fil des années de compétition.

Dominique Simoncini, préparateur physique de Loris Baz mais également ancien pilote en Championnat du Monde de Trial et Maître de Conférences à l’Université des Sciences de la Performance de Dijon, résume parfaitement la situation : « La moto, c’est un sport qui va vite, avec des saisons longues, et finalement les pilotes réagissent comme ils pilotent ! Alors même qu’ils sont encore en train de tomber, pensent déjà à remonter sur la moto. J’ai découvert dans ce sport et chez ses acteurs une capacité incroyable à accepter la souffrance, liée à l’acceptation du risque énorme qu’ils prennent au quotidien. »

Une tolérance décuplée à la douleur alliée à des techniques médicales de pointe et à un mental d’acier, telle serait donc la recette utilisée par les pilotes professionnels pour se remettre si vite de leurs déconvenues physiques. « Je ne suis pas sûr qu’il y ait réellement d’explication à la récupération ultrarapide des pilotes » conclut Guido Costa. « Personnellement, je mettrais d’abord cela sur le compte de leur jeune âge pour la plupart, d’une préparation physique et athlétique intense, ainsi que de leur désir sans limites de courir quoiqu’il arrive. Tout cela créer une mélange explosif qui va bien au delà de la médecine, bien que celle-ci ait toujours un rôle très important que ce soit du point de vue chirurgicale ou pharmaceutique – toujours dans le respect des normes antidopages, bien sûr ! »  

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Et le kiné Italien de mettre le doigt sur un dernier élément de la plus haute importance, la préparation, qu’elle soit physique ou mentale. Un facteur de la récupération dont nous traiterons dans la troisième et dernière partie de ce dossier, à venir très vite sur OffBikes.

À nouveau, un immense merci à nos intervenants Christophe Biau, Guido Costa, Dominique Simoncini, Loris Baz et Sylvain Barrier, dont les propos achèveront d’illustrer notre analyse, pour leur disponibilité et leur gentillesse. 

Retrouvez les autres parties de ce dossier sur la récupération des pilotes moto :

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