Après avoir longuement traité les soins prodigués aux pilotes suite à une chute et à une blessure, Il s’agit d’aborder dans ce dossier une des clés de la capacité de récupération prodigieuse des pilotes moto, celle de la préparation.
Bien sûr, lorsque l’on pense préparation physique et entraînements, on songe à la prise de masse musculaire qui permettrait de manier plus ou moins facilement la puissance d’une machine motorisée – entre 260 et 280 chevaux pour une MotoGP. Mais Sylvain Barrier nous confie que ce n’est pas forcément là que cette préparation hyper-sportive fait la différence.
« En moto, tu n’es pas obligé d’être un sportif de haut niveau, tu peux en faire et faire de bons résultats quelle que soit ta condition physique, » explique le Champion Superstock 1000. « Mais quand tu es préparé physiquement, cela fait la différence justement sur les blessures. Car avec une bonne condition physique, même blessé, tu peux rester à un niveau de performance correct. Finalement, faire du sport à côté, ce n’est pas ce qui te fera gagner des courses, mais en cas de chute, c’est ce qui va pouvoir te permettre de ne plus rien faire pendant une semaine ou un mois sans en pâtir derrière. »
Mais pourquoi, de quelle façon et avec quel type d’exercices ? C’est la question que nous avons posé à nos différents intervenants, qui nous ont chacun révélé, selon leur domaine d’expertise, l’importance d’une bonne préparation physique – et mentale – dans le processus de récupération du pilote après une chute, une blessure, ou tout simplement à la fatigue.
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De l’importance de la préparation (physique et mentale).
« Personnellement, je n’ai jamais rien réussi à gérer lors d’une chute (rires). Je crois que c’est une question d’instinct. Il y a deux types de réactions je pense. Soit tu es tendu, crispé, gainé, donc tu te blottis et tu diminues le risque de blessure. Mais tu peux aussi être super laxe, détendu, faire le pantin et ne pas te faire mal non plus parce que tu joues sur la souplesse. »
C’est à nouveau Sylvain Barrier qui nous met sur la piste d’un première explication : la réaction immédiate du corps lors de la chute jouerait un rôle dans la prévention de la blessure. Difficile d’imaginer que l’on puisse gérer son comportement musculaire lorsque l’on tombe à vitesse élevée, pourtant Christophe Biau, kinésithérapeute et ostéopathe spécialisé dans les soins aux sportifs de haut niveau, confirme qu’il y a bien une telle approche à envisager.
« Deux choses importantes sont à considérer, » pose-t-il en guise d’introduction. « Quand tu prends un choc, il vaut mieux l’encaisser dans la masse musculaire que dans l’articulation, car cela provoquera un hématome, une déchirure, mais pas une fracture qui sera beaucoup plus longue à se réduire. Par exemple, un rugbyman lors d’un placage va contracter ses muscles pour amortir le choc et éviter la fracture ou la luxation. » Un premier aspect que semblait pointer Sylvain lorsqu’il parlait d’être crispé et contracté. « Ensuite, plus les choses sont rigides, plus elles risquent de casser lorsqu’elles tombent ou prennent un choc. Donc quelqu’un qui est souple a moins de chances de se faire mal que quelqu’un qui est raide. Toute la difficulté d’une bonne préparation physique à la chute est donc d’allier tonicité musculaire – gainage – et souplesse articulaire. Cette harmonie se travaille notamment avec des exercices varié et de nombreux étirements. Pour un pilote de haut niveau, il faut une vraie préparation physique en amont pour réagir à la chute, et l’absorber. Quelqu’un qui prendrait le même choc sans le gainage et la préparation aurait des traumatismes plus importants. »
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Certains exercices précis seraient donc la pour réduire la vulnérabilité du pilote à la blessure ? Dominique Simoncini, préparateur physique de Loris Baz, ancien pilote en championnat du monde de Trial et Maître de Conférence à l’Université des Sciences de la Performance de Dijon, explique le type d’exercices qu’il impose à son illustre protégé, pilote de Superbike.
« Nous avons commencé ensemble une longue et permanente préparation dès le mois de septembre. Étant moi-même un ancien pilote de moto, j’ai une bonne connaissance des besoins et attentes de Loris pour assurer l’ensemble de son championnat. Nous avons donc débuté avec une période de préparation physique générale de septembre à décembre. Nous y avons ciblé le renforcement musculaire sur la ceinture scapulaire, les bras et avants bras, la sangle abdominale et les jambes. Autant d’éléments importants pour la maniabilité de la moto, pour pallier à la grande taille de Loris, mais également pour améliorer sa souplesse et sa tonicité musculaire. Le tout couplé avec de grosses séances de cardio, dont la grande variabilité du contenu assurait un côté ludique, indispensable à Loris pour ne pas se lasser. Il a travaillé très dur dès cet automne, et je l’ai confronté à d’autres athlètes de très haut niveau – biathlètes Français, Free Riders professionnels par exemple. Nous avons également beaucoup travaillé sur le développement de sa VMA (Vitesse Maximale Aérobie, vitesse de course sur piste à laquelle une personne consomme le maximum d’oxygène, NdR) pour améliorer les transports gazeux dans le sang afin qu’il oxygène parfaitement ses muscles mais aussi qu’il récupère extrêmement rapidement. »
Autant d’éléments techniques qui éclaircissent en partie le sujet : il est possible de travailler sur le physique afin de l’aider à mieux encaisser les chutes et à mieux récupérer d’une blessure. Christophe tient à ajoute une dernière dimension possible de cette préparation : « Un autre aspect peut également se travailler, celui de l’anticipation. Anticiper et ne pas appréhender le contact avec le sol est très importants. Pour cela, il y a le judo, mais également le trampoline par exemple, qui permet d’améliorer la perception des repères dans l’espace. »
Lorsqu’on aborde le sujet, Dominique souligne le fait que si la préparation est physique, elle est également psychologique à ce niveau. « Pour préparer un pilote aux chutes, il y a évidemment un travail psychologique important à effectuer. Car si le pilote accepte la chute comme une composante de sa discipline, il cherche moins à se mettre en opposition avec le sol et enroule sa chute un peu comme un judoka, la glisse en plus. Si nous continuons notre collaboration l’année prochaine j’ai d’ailleurs prévu une stage d’unes semaine de judo avec un maitre pour Loris ! Le renforcement musculaire et la dimension physique ne suffisent pas, la blessure vient de la gestion psychologique d’abord ! »
Une préparation mentale, donc, qui entrerait immédiatement en compte lorsque le pilote chute, se blesse, et entame sa rééducation et sa récupération. Le plus étonnant, c’est que lorsque l’on pose la question au premier passionné venu, il répond que les pilotes ont avant tout « un mental d’acier », celui-la même qui leur permet de remonter sur leurs machine malgré la douleur, malgré les vis et les plaques, malgré les plaies et les fractures. Malgré la fatigue, aussi. Comment expliquer l’extraordinaire performance de Loris Baz qui a, au mois d’Avril, enchaîné deux manches du Championnat du Monde Superbike – chacune composée de deux courses – avec une course d’endurance de 24 heures, celle du Bol d’Or ?
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C’est Loris lui même qui nous donne le premier un élément de réponse. « En fait, je savais depuis déjà un moment que ce mois allait être un peu dingue, et je m’y suis bien préparé avec l’aide de Dominique. On a augmenté un peu nos séance pour être au top, ciblé un peu plus notre travail. Mais surtout, le corps humain est très bien fait, et quand le physique a un coup de moins bien, le mental le tire vers le haut, et vice versa ! Cela dit, j’ai moi même été surpris d’être encore aussi frais après la deuxième course à Assen. »
Et Dominique de préciser : « Pour le mois d’Avril, Loris était prêt en termes de condition physique, et le travail que nous avons effectué était différent, car une fois engagé dans cette période délirante, c’était sur la récupération qu’il fallait capitaliser ! Loris à eu un très gros mois de mars en guise de préparation, et nous avons capitalisé sur un volume acquis en ne faisant que des exercices spécifiques à sa discipline : des séances de renforcement musculaire courtes, et des séances de VMA et d’intervalles training afin de ne pas trop augmenter la fatigue musculaire. Il ne fallait pas installer une fatigue profonde mais au contraire lui permettre de rester très tonique et actif. Mais surtout, j’ai ciblé le mental » insiste le préparateur. « En tant que psychologue du sport, j’ai aussi beaucoup parlé avec Loris pour lui permettre de prendre conscience de ses compétences et d’élever son niveau de confiance. Nous avons énormément travaillé l’aspect psychologique, et plus après avoir que j’ai accompagné Loris en Australie, où je me suis rendu compte qu’il y avait un énorme décalage entre le soin apporté à la moto – six personnes en permanence – et celui apporté pilote , laissé seul dans son coin et envisagé comme une matière brute que l’on pose sur la machine pour la faire performer. C’est la première fois que je vois cela dans un sport demandant autant de compétences physiques et mentales ! Je pense que les motos seront un jour limitées dans leurs performances, et que la différence se fera maintenant dans le soin apporté à la concentration du pilote, sa relaxation et sa préparation quotidienne. Les team-managers qui prendront cette orientation auront très bientôt un avantage concurrentiel important. »
Malgré tous ces éléments, qui expliquent très certainement où et comment les pilotes puisent la force d’effectuer ces performances que nous admirons tous, que ce soit lorqu’ils sont fatigués ou blessés, il est cependant hors de question d’oublier qu’ils sont des êtres humains, loin d’êtres invicibles, et qu’ils trouvent le plus souvent leurs ressources dans leur propre personnalité et dans leur entourage.
Ainsi, Loris ajoute : « Bien sûr, il y a des moments de moins bien pour chacun. Par exemple, lorsque tu ne comprends pas pourquoi tu n’arrives plus à rouler aussi vite qu’avant, tu te mets à douter. Mais je doute rarement car j”ai les bonnes personnes autour de moi, comme Adrien (Morillas, NdR) qui me connait parfaitement et qui me rappelle très vite de quoi je suis capable ! »
Un outil phénoménal que l’esprit du pilote lui-même donc, qui est capable du meilleur comme du pire, que ce soit sur ou en dehors de la piste, mais dont les exploits ne ternissent jamais, même lorsqu’on leur trouve des explications.
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Une dernière fois, un immense merci à nos intervenants Christophe Biau, Guido Costa, Dominique Simoncini, Loris Baz et Sylvain Barrier, qui malgré leurs emplois du temps très chargés ont pris le temps de répondre de façon exhaustive à toutes nos interrogations, même les plus évidentes.
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