Arnaud VINCENT
Champion du Monde 125cc
2002
Le Dossier Pilote Français vous livre aujourd’hui un autre de ses épisodes exclusifs, cette fois consacré à un pilote dont la carrière appartient – malheureusement – au passé, mais qui a porté très haut les couleurs de la France : Arnaud Vincent, une de nos illustres et rares Champion du Monde.
Toujours en quête de nouvelles de ceux dont on ne parle que trop peu, OffBikes vous propose donc de redécouvrir le parcours de ce pilote exceptionnel, tant par son palmarès que par son approche très personnelle de la compétition moto. Une approche qu’il détaille lui même dans l’interview exclusive que nous avons réalisé, à retrouver en bas de page.
Retour sur l’un des Frenchies les plus atypiques de l’Histoire récente de la moto.
Le passé, rétrospective.
Après des débuts timides en moto-cross, Arnaud Vincent ne s’est dirigé vers la vitesse et la piste qu’à l’âge de 20 ans. Au bout de trois saisons mitigées en Championnat de France 125cc, il le remporte finalement en 1997, à l’âge de 23 ans, signant un doublé en remportant la même année le titre de Champion d’Europe 125cc. Cette très belle performance lui vaut d’intégrer les Championnat du Monde dès l’année suivante avec le team Scrab.
Arnaud vit une première saison difficile, mais connaît une victoire dès sa seconde année en Grand Prix, sur le circuit de Catalunya. Bien que sa progression soit ensuite constante, il lui faut attendre 2002 et la très performante Aprilia pour remporter son premier et unique titre de Champion du Monde en catégorie 125cc, après 10 podiums dont 5 victoires.
L’année 2003 est le début d’une longue pente descendante pour le Français. En devenant pilote usine KTM, celui-ci pense s’assurer un avenir prospère, mais il se fait licencier en cours de saison par le Team Manager Harald Bartold, pour avoir critiqué – pourtant de bonne foi, comme il l’explique dans l’interview ci-dessous – les performances de la machine alors truquée. Battant, Arnaud reviendra toutefois avant la fin de l’année sur une Aprilia au sein du Team Sterilgrada.
En 2004, afin de continuer à évoluer, le Champion passe en catégorie 250cc, mais sa première année est un échec. L’année suivante, il décide de relever un nouveau défi en développant la Fantic 250cc, mais ne parvient qu’à terminer quatre courses du fait du manque de fiabilité de la machine.
En 2006, Arnaud entame sans le savoir sa dernière année en Championnat du Monde, à nouveau en 250cc au sein du Team Molenaar Racing. Malheureusement, le succès n’est pas au rendez-vous, le matériel ne suivant pas et n’évoluant pas aussi vite que celui de ses concurrents.
Dépité, le Français choisit alors de mettre un terme à sa carrière internationale, de faire machine arrière et de s’orienter vers le Supersport, puis vers le Championnat de France, mais de nombreuses désillusions l’y attendent et le poussent à arrêter définitivement la compétition moto en 2008.
L’entrevue.
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- Comment as-tu vécu le soutien du public Français avant, pendant et après ton titre de Champion du Monde ?
Avant mon titre, il y avait forcément des gens pour et des gens contre moi, ou du moins des gens qui me soutenaient et d’autres qui me critiquaient ouvertement. Il est vrai que la saison qui a précédé mon titre n’était pas extraordinaire, du coup j’avais accumulé quelques détracteurs. Mais dans l’ensemble, et c’est encore le cas aujourd’hui, j’ai quand même bénéficié d’un bon soutien du public Français. Quand j’ai l’occasion de me déplacer sur des manifestations et autres événements comme le Bol d’Or ou le Grand Prix de France par exemple, je constate qu’il y a toujours des passionnés qui suivaient à l’époque et ont encore de l’engouement à évoquer cette saison et mes résultats.
Juste après mon titre, c’était encore plus positif, car forcément quand tu es Champion du Monde, il y a plus de gens qu’avant pour venir te voir et te dire que ce que tu as fait est génial. Certains détracteurs étaient même devenus des adorateurs… C’est comme ça. Ça ne fait jamais plaisir quand des gens te critiquent, d’autant que ceux qui le font se rendent rarement compte de tout le travail que tu effectues derrière ce qu’ils voient à l’écran. La moto telle qu’on la voit à la télé ne reflète pas la réalité des choses. Par exemple, lors de la saison précédant mon titre, j’étais persuadé qu’avec une bonne moto, j’avais les capacités d’être Champion du Monde. Mais je n’en ai parlé à personne, j’étais le seul à le savoir et si je l’avais dit à ce moment là, je serais passé pour un énorme prétentieux parce que j’occupais des places entre 8ème et 15ème. Je savais que je pouvais rouler très vite, et même gagner, mais le matériel est très important dans ce sport et tout ne dépend pas du pilote. Les gens ont tendance à l’oublier.
- À une époque, une rumeur courait selon laquelle tu serais Bouddhiste. Est-ce le cas ? Et si oui, n’est-ce pas une philosophie incompatible avec la nécessité d’agressivité imposée par la compétition moto ?
Je ne suis pas une personne religieuse, donc je ne le pratique pas, mais je le suis dans l’âme (rires) ! C’est une philosophie dont je me sens proche. Pour ce qui est de la compatibilité avec le sport moto, je suis de ceux qui pensent qu’il y a plusieurs chemins qui mènent à Rome… Le mien, avec le recul, était sûrement différent de celui des autres pilotes et autres champions. Beaucoup ont un égo démesuré, et je ne pense pas avoir été comme ça. Ma motivation et mon envie de gagner, je ne la trouvais pas dans la perspective d’écraser mes adversaires ou de me retrouver en haut de l’échelle avec tous les projecteurs sur moi. C’était presque le contraire, l’attention permanente des gens et des médias me mettait mal à l’aise et je ne savais pas du tout quoi faire. Quand je gagnais une course, j’étais super content, mais la réalité c’est que lorsqu’il fallait enlever le casque, faire les interviews, monter sur le podium et parler à tout un tas de gens, je n’en avais aucune envie ! J’aime rouler vite sur une moto, j’aime l’aspect technique de la mise au point d’une moto, j’aime l’adrénaline que procure le sport moto, mais peut-être pas les à côtés. Or aujourd’hui beaucoup de pilotes n’ont pas les mêmes motivations, et font peut-être plus de la moto pour gagner de la notoriété, de la reconnaissance, et aussi beaucoup d’argent. Tout ce dont moi, je n’ai rien à faire. Si j’ai fait de la course à haut niveau, c’était vraiment par plaisir.
- Dans ce que tu dis, on retrouve le même type d’approche qu’a un pilote Français aujourd’hui, le jeune Johann Zarco…
C’est vrai, absolument. Je parlais de lui il n’y a pas longtemps, et c’est vrai qu’il travaille un peu à l’ancienne. Je l’ai cité comme exemple dans une conversation car il est vrai que c’est un mec qui est peut-être moins « doué » de base, mais qui a tellement envie de bien faire qu’il n’arrête pas de rouler, de s’entraîner, de travailler, et je pense que c’est une bonne méthode. Après, son association avec Laurent Fellon diffère de mon parcours, moi j’étais totalement indépendant. Lui a commencé très jeune, moi j’avais un âge où j’étais déjà suffisamment mature pour m’en sortir seul. Je pense qu’il se rapproche de ma façon de voir le sport moto dans la mesure où il ne donne pas l’air d’être quelqu’un qui cherche à briller sous les spotlights, mais plutôt un pilote qui veut faire les choses bien dans son sport et progresser en permanence.
- Au sujet de son association avec Laurent Fellon, ne penses-tu pas que c’est ce qui, à toi, t’a manqué pour aller plus loin ? Un coach personnel pour encadrer ton travail sur la moto ?
Non, je pense au contraire que quelqu’un d’aussi présent m’aurait gêné. Par contre, j’aurais eu bien besoin d’un manager ou d’un attaché de communication. Tout le côté relationnel, ça n’a jamais été mon truc, je n’ai jamais su bien me vendre et il est clair que ça m’a considérablement pénalisé dans la suite de ma carrière. Si j’avais eu quelqu’un pour gérer tout ça, mon image et ma communication, je pense même que je roulerais encore maintenant (rires) ! Mais bon, dans la catégorie dans laquelle j’évoluais à ce moment là, la 250cc, ça n’était pas évident de trouver quelqu’un qui accepterait de bosser pour moi en sachant qu’il ne gagnerait pas beaucoup d’argent, car il n’y en a pas énormément à se partager à ce niveau là. Quelques personnes ont travaillé pour moi, brièvement, mis ça n’a jamais été des personnes aussi compétentes que celle que peut avoir, par exemple, un Randy De Puniet avec Eric Mahé à ses côtés. Je ne pense pas que j’aurais eu besoin de quelqu’un pour me coacher en terme sportif ou de pilotage, mais quelqu’un qui aurait pu gérer mon business, ça aurait pu m’être très utile. Cela dit, je ne pense pas avoir été trop mauvais en terme de relationnel, je n’ai jamais eu de mauvais rapports avec les médias ni quoique ce soit. Mais au niveau des partenaires, des sponsors, je n’ai jamais été un bon commercial… Je n’ai jamais su aller cirer les pompes aux gens pour récupérer des billets. Mais c’était mon choix.
- Comment as-tu vécu le manque de sollicitation après ton titre ? À ton avis, pourquoi n’as tu pas obtenu de machine plus performante après avoir été Champion du Monde ?
Tout simplement parce que je ne répondais pas à certains critères, je pense. Déjà, j’ai commencé la moto très tard, à 20 ans, et j’ai été titré en 125cc à 27 ans. Si l’on regarde les statistiques, je ne pense pas qu’une telle chose se soit reproduite depuis, et je ne pense pas non plus qu’il y en ait eu beaucoup avant moi. C’est une première chose qui n’a pas jouée en ma faveur. Après, Randy (De Puniet, NdR) venait d’arriver et il était déjà assez en place en 250cc. Moi, à cette époque là, j’avais très peu de partenaires, et une 250cc d’usine coûtait vraiment très cher. Randy rentrait beaucoup plus dans les cases que moi : beau gosse, avec une belle gonzesse, bon communicant et un peu plus « showbiz », je ne réunissais pas tous ces aspects, donc c’était difficile de lutter.
C’est en partie ce qui m’a poussé à mettre un terme à ma carrière internationale. Après mon titre, il y a eu ma saison chez KTM où les choses ne se sont pas forcément très bien goupillées, puis c’est devenu de plus en plus difficile. Lorsque j’ai arrêté, c’était la période où les pilotes amenaient de plus en plus de budget, et ce n’était pas mon cas. Ajoute à cela le fait que je n’intéressais pas trop les usines du fait de mon âge et de ma nationalité, et tu as tout compris.
- Peux-tu nous expliquer ce qui t’a valu d’être remercié en cours de saison par Harald Bartold chez KTM ?
C’est un peu compliqué, mais je vais essayer de livrer une version simplifiée. KTM a débauché Bartold pour faire la 125cc de Grand Prix cette année là, et du coup, il est parti de chez Gilera avec les moteurs etc, alors même qu’il était en contrat d’exclusivité avec eux. Il y a d’ailleurs eu un procès, qu’il a perdu par la suite. Pour rendre crédible, lors du procès, sa version selon laquelle il n’avait pas emmené avec lui les plans techniques de Gilera en partant, il a fait en sorte que la KTM soit réglée de manière à ne pas fonctionner tout de suite, afin de justifier qu’il s’agissait d’une machine totalement nouvelle selon lui. Ça, je ne m’en suis aperçu qu’en cours de saison, mais je ne l’ai pas cautionné. Effectivement, j’étais pilote usine KTM, j’étais très bien payé, mais je n’étais pas très content d’être obligé de rouler sur une machine volontairement contre-performante. Au départ, je n’ai trop rien dit parce que je ne pouvais rien y faire, mais là où j’ai commencé à tiquer, c’est lorsque Bartold a commencé à dire que s’il n’y avait pas de résultat, c’était parce que je me trainais. Il était pris entre deux feux, celui de KTM qui lui demandait des comptes, et celui de Gilera qui lui demandait de prouver qu’il n’avait rien volé. En plus de ça, ses pilotes lui demandaient de faire marcher la moto, alors il a fallu qu’il s’en prenne à quelqu’un, et c’était moi. Ça n’était pas évident pour lui, et lorsqu’il a fait une déclaration comme quoi j’étais le fautif, je lui ai publiquement demandé de faire marcher la moto avant de parler, car quelques mois avant ça, je gagnais encore des courses. Le fait que je me sois un peu rebellé, ce que n’a pas fait mon coéquipier Locatelli, n’a pas vraiment plu et il m’a mis à la porte. Pourtant, je n’ai fait que dire la vérité, je n’étais pas responsable, le soucis venait de la moto et nous le savions tous.
Je n’ai pas regretté ma décision de parler, car après ça, ils ont de toute façon viré Locatelli quand même à la fin de l’année, l’année suivante ils ont pris Talmacsi qu’ils ont aussi viré comme un moins que rien, puis même chose avec West, donc bon. Notre collaboration n’aurait sûrement pas mené à grand chose de plus productif.
- Parmi les rares Champions du Monde Français, mais aussi les Champions du Monde tout court, tu es l’un des seul à être retourné courir dans ton Championnat national après ton titre. Était-ce une bonne expérience ou l’as tu vécu comme une régression ?
Pour moi, le retour en Championnat de France n’a pas été une bonne chose. J’avais vraiment envie de continuer à faire de la moto et à rouler, et j’y suis allé uniquement pour ça, mais à part la première saison que j’ai faite avec la R6 et un petit Team sympa, je suis ensuite retombé sur des gens pas forcément honnêtes, qui ont cherché à profiter de moi et de ma notoriété, et ça m’a gonflé car les gens n’avaient pas compris que j’étais là seulement pour le plaisir. Du coup, j’ai décidé d’arrêter. La moto doit rester un plaisir, quand il y a trop de négatif, il faut savoir passer à autre chose.
- Que fais-tu exactement aujourd’hui ? Quel est ton job, quel est ton quotidien ?
Et bien une partie de l’année, je travaille un petit peu pour BMW Moto, mais aussi pour le site internet Caradisiac, pour lequel j’effectue des essais de certaines machines. Le reste de l’année, je fais quelque chose qui n’a rien à voir, à savoir de l’immobilier dans ma région. J’ai gardé un pied dans la moto, mais ce n’est pas mon activité principale. Je ne suis pas très chaud pour travailler dans la moto, pour moi c’est plus un hobby, une passion, qu’un orientation professionnelle. J’aime rouler sur une moto, mais je ne suis pas attiré par tout ce qu’il y a autour. Je n’envisage pas du tout une reconversion comme celle de Jimmy Petit en tant que coach ou autre. Le monde de la moto est devenu très business, et je n’ai pas forcément envie d’y être mêlé… Si c’était vraiment de la préparation pure d’un pilote, tout ce qui est physique et pilotage, à la limite, ça pourrait éventuellement m’intéresser, mais pour être honnête, je pense qu’aujourd’hui c’est devenu plus important de bien travailler son image, d’avoir une belle gueule, une belle nana et un bon manager que de s’entraîner tous les jours. Il y a un temps pour tout, je crois que j’ai appartenu à une certaine époque, et elle est révolue. Je pense que je ne serais plus dans le coup si je devais être pilote !
- Cette année, tu as participé au Bol d’Argent aux côtés de Bertrand Gold, de Moto Revue. Comment c’était ?
C’était franchement très sympa ! Ça faisait plus de quatre ans que je n’avais pas participé à une course moto, donc il m’a un peu fallu enlever la poussière de mon cuir (rires)… Mais c’était une chouette expérience, et je me suis rendu compte que j’étais encore capable de mettre un peu de gaz, donc ça fait toujours plaisir ! Je pense que c’est une expérience que je pourrais réitérer, on en parle déjà pour l’année prochaine.
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Tous nos remerciements à Arnaud Vincent pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Très bientôt, retrouvez sur OffBikes une nouvelle interview du Champion du Monde, dans laquelle il donne son avis et son analyse sur le parcours de chaque pilote Français actuellement engagé dans les Championnats du Monde internationaux.
Propos recueillis par : Line.