Si 2016 était caractérisé par le retour de Michelin en MotoGP, la saison marquait également l’entrée en vigueur du logiciel électronique unique pour toutes les équipes MotoGP. Loris Baz a accepté de nous expliquer le fonctionnement des commandes de l’électronique qui se trouvent sur sa Ducati.
Celle-ci est au cœur du développement d’une MotoGP et joue un rôle crucial tout au long d’un tour, d’une course et d’une année. Le pilote Avintia Racing a connu plusieurs gestions électroniques différentes. En effet, le Français, ancien pilote WorldSBK, a connu la version Open et la version unique actuellement en vigueur.
À l’issue du test de pré-saison à Jerez, le Haut-Savoyard revient donc sur le fonctionnement précis de son électronique, son rôle, ainsi que sur les difficultés rencontrées durant un week-end de Grand Prix, avant de nous partager son éclairage sur la performance de Jonathan Rea lors des tests de Jerez.
Note : OffBikes (Thomas Morsellino, collaborateur de Paddock-GP) est l’auteur de cette article qui a aussi été publié sur MotoGP.com.
- Peux-tu nous décrire les boutons que tu as à disposition sur la Ducati ?
Sur la droite, il y a un bouton qui sert à éteindre la moto. Sur la gauche, il y a un bouton rouge, un vert, un noir, un jaune et un bleu. Le bleu sert à déclencher le Launch Control pour les départs. Le noir est le Pitlane Limiter que nous actionnons une fois que nous arrivons dans la voie des stands.
Au départ d’une course, nous partons avec plusieurs cartographies (maps) de traction control, plusieurs cartographies de frein moteur ou encore plusieurs cartographies de puissance que nous utilisons que très rarement. Les boutons rouge et vert servent à monter ou descendre parmi les choix possibles et le jaune permet de changer de menu. Nous partons avec trois maps différentes pour chacun des menus que nous alternons au fur et à mesure de la course.
- Lorsque tu changes de cartographie, est-ce instantané ? Dans quel cas faut-il changer de map ?
Oui, c’est instantané. Ensuite, tout dépend des circuits et de l’usure des pneus. C’est au fur et à mesure du week-end que nous décidons de ce que nous allons faire pendant la course. Très souvent, nous partons avec la map « full », c’est-à-dire la map la plus performante.
Dès que le pneu s’use aux environs du premier tiers de la course, la moto patine beaucoup plus et les coupures du traction control nous empêchent de rouler aussi vite que nous le pourrions. Nous passons alors à la map B du menu traction control pour libérer la moto davantage et la laisser glisser. La map C est similaire à la B.
Au sujet du frein du moteur, très souvent nous le réduisons au fur et à mesure de la course pour éviter de bloquer le pneu qui s’use en entrée de virage.
- Les MotoGP sont équipées d’un GPS qui ne sert qu’au feed international (TV). En dehors de cet usage, il est formellement interdit, avez-vous la possibilité de régler l’électronique virage par virage ?
Oui, nous sommes capables de régler virage par virage. Le frein moteur et le traction control sont différents pour chaque virage. Il en est de même pour les courbes de puissance. Nous ne sommes jamais à pleine puissance en première et seconde et rarement en troisième. Au-delà de la troisième, la puissance est à son maximum.
- Techniquement, comment cette puissance est-elle gérée ?
La puissance est gérée par la coupure d’allumage et par la gestion de l’injection. Il y a aussi le Wheelie Control qui vient aider à passer un maximum de puissance au sol en sortie de virage. Il y a vraiment beaucoup de choses qui rentrent en jeu.
- En WorldSBK, les corps d’admission séparés ne seront plus autorisés dès 2017. Ils permettent de couper un ou plusieurs cylindres. Est-ce une solution utilisée en MotoGP ?
J’ai utilisé cette solution pour la première fois en WorldSBK. Grâce à cela, nous avons réellement fait un bond en avant. J’avais gagné près d’une demi-seconde avec la Kawasaki. Je sais que cette solution ne plaisait pas à Tom (Sykes), mais cela permettait d’avoir un meilleur rythme, une moto beaucoup plus douce et beaucoup plus maniable. En MotoGP, c’est évidemment une solution que nous utilisons.
- Comment le frein moteur fonctionne-t-il ? Comment le règles-tu durant un week-end ?
Je pense que c’est quelque chose de très difficile à ressentir sur la moto en tant que pilote. Il y a des pilotes qui roulent avec très peu de frein moteur, mais qui compensent en utilisant le frein arrière. Il y en a d’autres qui en mettent beaucoup. Hormis Marquez, on remarque que les motos restent en ligne. La Honda demande peut-être davantage d’être en glisse en entrée de virage alors que c’est n’est pas le cas pour la Yamaha ou la Ducati.
Le frein moteur est réglé par virage et nous faisons en sorte que la roue ne se bloque pas et que la moto ne termine pas en travers afin de faire le freinage le plus puissant possible. Ce sont les ingénieurs qui s’occupent de régler cela. Nous avons des maps de base par circuit que nous ajustons ensuite virage par virage au fur et à mesure des séances.
- Quelle est selon toi la part du réglage de l’électronique durant un week-end ?
Durant chaque séance et après chaque arrêt au box, nous repartons avec de nouveaux réglages à la fois électroniques et châssis. Entre chaque séance et chaque jour, nous essayons d’ajuster et d’adapter les réglages à tous les virages.
C’est toujours très délicat : il faut avoir plus de puissance en sortie, mais ne pas cabrer, pas trop de puissance pour ne pas user le pneu… C’est vraiment un compromis à trouver.
- Avant de passer au logiciel unique, tu as connu le logiciel Open, as-tu ressenti une réelle différence entre les deux logiciels ?
Le logiciel unique est un peu meilleur que l’Open. La principale différence est que ce logiciel a permis de réduire l’écart avec les machines officielles.
Par exemple, les machines officielles pouvaient se configurer automatiquement au fur et à mesure de la course en fonction de plusieurs paramètres comme l’usure des pneus. D’un tour à l’autre, elles étaient en mesure de s’adapter. Cela avait créé des différences importantes avec les machines satellites et privées.
- Cette saison, toutes les motos sont logées à la même enseigne avec 22L de carburant en comparaison aux 24L pour les Open et 20L pour les usines en 2015. Était-ce une problématique cette saison ?
Cette année, la gestion de la consommation a été beaucoup plus compliquée que l’année dernière. Sur certains tracés, nous devions utiliser moins de puissance pour arriver au bout de la course. C’était vraiment juste sur certains circuits
Nous faisons le tour de chauffe avec une map “économique” avec laquelle nous roulons à basse vitesse pour ne pas consommer. Nous changeons ensuite la map durant la course pour faire en sorte de rallier l’arrivée : si on a trop patiné, si on a roulé plus ou moins vite en début de course, on sait si on va aller au bout ou non. Cette saison, il y a eu Austin, l’Autriche… très souvent les circuits avec de longues lignes droites.
- Le launch control est-il vraiment indispensable au départ ? Est-ce difficile de l’utiliser selon sa position sur la grille ?
Je pense qu’un départ parfait sans launch control est plus rapide qu’un départ avec le launch control. L’avantage de ce système est qu’il permet de répéter beaucoup plus facilement la procédure d’un départ à l’autre. Le système limite le régime et nous n’avons plus qu’à nous concentrer sur la poignée de gaz et l’embrayage sans se soucier de cabrer et de gérer la puissance. Nous utilisons très souvent la même map pour cela, cela dépend de la boite de vitesses que nous utilisons, longue ou courte.
- Avez-vous obtenu des évolutions durant la saison ?
Nous avons eu quelques mises à jour tout au long de la saison, mais je ne connais pas en détail le contenu de celles-ci.
- Penses-tu qu’avec le logiciel unique, le pilotage retrouve son importance ?
Ce sont des choses différentes. Malgré l’usage du logiciel unique, le pilotage est toujours aussi important. Il faut prendre en compte d’autres éléments par rapport aux saisons précédentes.
Selon moi, il est plus difficile d’aller plus vite avec l’électronique que sans. Sans l’électronique, partir en highside en accélérant trop tôt sur l’angle est facile à comprendre. Avec l’électronique, ce phénomène simple est moins évident à détecter. Il faut être très sensible pour comprendre ce qu’il se passe, les coupures et le comportement de la moto. Il est très difficile de comprendre l’erreur qu’on a pu commettre, de trouver la meilleure trajectoire pour ne pas cabrer… C’est d’ailleurs pour cela que nous zigzaguons en ligne droite, afin ne pas cabrer.
J’ai toujours aimé les motos sans électronique, mais je pense que sur une MotoGP, ce serait très compliqué de s’en passer. Ce sont des machines qui avoisinent les 280 chevaux. Elles sont tellement radicales et rigides qu’il y aurait beaucoup trop de chutes et ce serait dangereux
On a tendance à dire que c’est plus simple avec l’électronique, mais c’est faux. Ce sont toujours les meilleurs devant. Sans l’électronique, ce serait toujours les mêmes qui seraient devant. Le pilotage est seulement beaucoup plus fin, beaucoup plus contrôlé et limité. Rossi a connu beaucoup d’ères différentes et il a toujours été devant…
- Tu termines le test à Jerez à l’issue duquel Rea a été le plus rapide. En tant qu’ancien pilote WorldSBK, comment expliques-tu cela ?
Il y a plusieurs paramètres à prendre en compte. Le temps qu’il a fait est incroyable, il n’y a rien à dire. Il a été très vite. Mais durant le test que nous avions réalisé à Jerez en WorldSBK, j’avais déjà roulé en 1’39.3.
Ce ne sont plus des motos de route en WorldSBK. Je pense que le budget de Kawasaki en WorldSBK est aussi élevé voire davantage que celui de certaines équipes en MotoGP. Il y a le pneu de qualification à prendre en compte qui fonctionne très bien lorsqu’il fait froid ainsi que le niveau du WorldSBK. Beaucoup pensent que le niveau du WorldSBK est bas, alors que c’est tout le contraire, le niveau est très élevé. Je l’ai toujours dit et j’ai toujours défendu cela. Nous en avons la preuve aujourd’hui.
Aussi, Jerez, tout comme Assen, est un circuit où nous ne sommes pas à pleine puissance très longtemps. La différence est donc moins nette avec le WorldSBK.
J’ai roulé très souvent avec lui durant ces deux jours. C’est amusant de voir le style différent entre une WorldSBK et une MotoGP. Une Superbike rentre très fort sur les freins pour casser la courbe alors qu’en MotoGP, nous avons beaucoup de vitesse de passage. Parfois, j’avais l’impression de ne pas rouler sur le même circuit en le suivant.
- Vers un troisième titre de Rea la saison prochaine ?
Je pense qu’il sera fort, mais je n’exclus pas Davies. La fin de saison qu’il a réalisée a été impressionnante. Il faudra voir si avec les changements apportés au règlement, il pourra reprendre l’avantage. La Ducati est de plus en plus rapide. La Panigale R est une machine qui fonctionne vraiment très bien.